De jeunes cuisiniers se rassemblent à l’arrière de la cuisine a l'arrivée de Ted. Dans sa camionnette se trouve une grande bassine d’eau fraîche remplie d’ombles chevaliers vivants. Attentifs, les cuisiniers observent Ted sélectionner une douzaine de poissons agités. Il les emmène en cuisine et s’installe à côté d’un grand évier remplie de glace. Démarre alors la chorégraphie d’une danse peu connue. Il les assomment de deux coups sur la tête, les étripe, les rince et les découpe en filets avec une élégance sans pareille. Cet enchaînement étonnement gracieux me fascine, mais il en est tout autrement pour certains jeunes cuisiniers au vu de leur malaise apparent. C’est la première fois, pour certains d’entre eux, qu’ils sont les témoins de la mise à mort d’un animal. C’est une expérience certes choquante, mais qui permet de mieux appréhender la nécessité pour notre société de retrouver un système agricole cohérent et respectueux de notre environnement.
Si l’acte de tuer un animal était une épreuve agréable, l’intrigue du film Babe aurait été bien différente. C’est justement la difficulté de cet acte qui nous incite à respecter l’animal et par là même, son environnement. C’est cela même qui peut nous pousser à repenser nos modes de consommation et nos régimes alimentaire.
L’industrialisation du secteur agricole et les législations successives l’entourant nous ont progressivement éloignés de la production de la viande, de l'élevage à la mise à mort des animaux. À tel point que certains d’entre nous ont aujourd’hui du mal à faire le lien entre la viande que l’on consomme et l’animal duquel elle provient. Déresponsabiliser la majeure partie de la population de la mort des animaux que nous mangeons pourrait sembler être un service rendu à la société, mais cela se fait au détriment de notre rapport ancestral à la nature et au principe d'équilibre qui la régit.
L’exercice de la chasse me semble amplement plus respectueux et consciencieux que lorsque nous sommes affalés dans notre canapé, un vendredi soir, les doigts recouverts de sel et de gras, a manger des nuggets livrés à domicile. Être tenu responsable de la vie d’un être vivant n’est en rien réconfortant, mais cela nous force à réexaminer nos choix et quantités de consommation.
Cela fait maintenant quelques années que j'échange et que je réfléchis aux sujets de la consommation de viande et de l'élevage dans nos sociétés modernes. Je tends à penser que ce ne n’est pas l’abolition complète de la consommation de viande qui pourra nous sauver, mais plutôt une rationalisation et une réduction généralisée, afin de retrouver l'équilibre dont nos écosystèmes ont tant besoin.
Pour diverses raisons, il ne serait pas raisonnable aujourd’hui d’exiger que chacun d’entre nous élève des animaux, de leur naissance à leur mise à mort. Mais être témoin de l’euthanasie et du dépeçage d’animaux devrait faire partie de notre éducation, au même titre que l’apprentissage du goût ou de la cuisine. En tant que prédateurs dominants sur Terre, nous avons le devoir de maintenir les équilibres de nos écosystèmes et de leurs biodiversités – une leçon que je souhaite que toutes nos institutions transmettent. Cependant, la théorie ne peux pas tout nous apprendre. Mais force est de constater que nous nous sommes trop éloignés de notre relation primaire à la nature. En tant que communauté, c’est seulement quand nous reviendrons au plus proche du processus de production de nos aliments que nous pourrons être en mesure de saisir et de respecter l'équilibre naturel et ainsi, de l’appliquer à nos comportements, en tant que consommateurs.